De mon père Henri Premier

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De mon père je ne me souviens de rien, ou d'à peu près rien. Mes souvenirs, ou la plupart d'entre eux, sont probablement inventés, embellis. Si ma mémoire fait défaut, et on peut le comprendre car à 6 ans c'est pour moi une éternité, la nostalgie, elle, est tout ce qui me reste, c'est tout l'essentiel.

Cette nostalgie est image brouillée, une télévision, une poignée de porte, un tricycle, un papier peint, un livreur Amana, un grenier; elle est faite d'étoiles et de longues vues, d'eau, de neige et de sable. En surface revient une perruche, un haut le coeur, le banc d'une auto, le quai d'une gare, un train, la boîte d'un camion rouge, de galops sur un genou au retour de l'école, d'une naissance, d'une blessure, d'une mort. Ma nostalgie est l'agréable sensation de revivre ces moments et de les grossir, d'y mettre de la couleur et du son, d'ajouter des odeurs, des étreintes, du bonheur et sûrement de l'amour. Une seule image devient un film, un cinéma maison auquel se joint Walt Disney, un petit choc électrique se transforme en une panne de courant majeure paralysant le tout Saint-Joseph de Beauce. Je ne me souviens de rien mais de tout à la fois, dans le désordre excepté la fin. De mon père, d'aussi loin que je me rappelle, il était grand, mais j'étais petit. Il fumait des cigarettes américaines, je le sais j'ai encore dans mes mains un carton plein, mou, rouge et blanc. Il portait des lunettes noires, ça se voit sur des photos, mais je n'ai pas souvenir de ça. J'ai souvenir qu'il aimait jouer avec moi. Dans ma tête il m'amenait partout, j'ai fait un voyage de pêche et pas n'importe lequel, au Maine, avec des grands, la nuit dans une chaloupe,au fanal et ça mordait! J'ai vu les mines grises de Thedford, traversé le pont vert de Québec, la longue route vers Saint-Joseph de Mékinac, et à Jackman jusqu'à la mer pour nous faire geler les orteils. Dans ces voyages ma mère y était sûrement, mes frères et soeurs aussi, des oncles et tantes probablement, mais je me souviens que de mon père. Si je n'avais pu les faire ces voyages il n'y serait pas allé! Ma nostalgie est fondée sur des émotions.

Aujourd'hui je regarde des photos; oui il était beau, oui il était grand. Ma cousine Isabelle me l'a dit souvent qu'il était aimé de ses proches, un préféré de l'oncle Docteur Odilon, grand ami de Robert Cliche, tantôt penchés sur une carte à planifier un voyage dans lequel obligatoirement je serai, tout comme plus tard à déguster de la tire dans une cabane de St-Joseph des Érables. L'image d'un train à la gare du village devient une quasi catastrophe ferroviaire et une punition, avec Coco, dans un coin du solarium rempli de soleil, qui grignote le papier peint une bouchée à la fois. Une perruche qui allait survivre à mon père et revivre plus d'une fois, mais dans une autre ville.

La nostalgie de mon père est en même temps celle de mon village natal. D'une maison qui se faisait en sa présence, d'un grand terrain, de la cave en terre et son congélateur de crèmes-glacées, il ne contenait que ça, en trois couleurs, d'un grenier qui me flash mon frère Yvan et mes soeurs Nicole et France. De groseilles et de voisins. D'un hiver ou mon frère Bernard est né, suivi d'un printemps assis à regarder monter l'eau dans la Chaudière, d'une virée en chaloupe chez le grand-père, c'est bien le seul printemps dont je me souviens, et arriva un dernier hiver sans l'été.

Serge Bouchard (l'écrivain, le sociologue) dit que nous ne sommes pas équipés pour le souvenir, que l'oubli est plus fort que la mémoire, que nous n'avons pas prononcé trois phrases que nous commençons à fabuler. C'est vrai. Parce le dernier souvenir de mon père, le moins loin en terme de temps, pour ce dernier hiver, un 26 décembre par-dessus le marché, n'est pas la fête de Noël ni mes cadeaux. La mort de mon père se résume à peu de choses, un bruit sourd sur le plancher du deuxième, comme celui d'un arbre abattu, l'oncle Odilon et d'autres qui toute la nuit essaient de ramener mon père à la vie. Il est devenu Henri Premier.

Pour notre mémoire le temps ne compte pas. Il ne faut pas espérer qu'il dure. Car tout passe, tout fuit, nous échappe comme un vol de libellules au fond d'un soir d'été.


[texte ajouté aux Chroniques familiales de Genepoulin.net 2021]
Dans la base de données généalogique il y a actuellement trois Henri, mon père est le premier

  • Henri Poulin 1915-1958, fils de Linière et Albertine Garneau, marié avec Thérèse Beaulieu en 1939.
  • Henri Cliche 1904, fils de Wilfrid et Enerstine Cloutier, marié avec Catherine Lessard en 1934.
  • Henri Légaré 1907-1971, fils de Georges et Antonia Garneau.

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