La curieuse confusion que créa en 1803 l'addition de cinq bancs neufs dans l'église de Sainte-Famille de l'Ile d'Orléans

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LE BANC DU SEIGNEUR. Une longue chicane et une affaire si embrouillée qu'elle provoqua trois arrêts contradictoires en cours de justice.

Il y a "vingt ans" (on se rapporte à une date postérieure à la chicane), le curé et les marguillers de l'Oeuvre et Fabrique de la Sainte-Famille, Ile d'Orléans, s'avisèrent qu'il y avait dans l'église paroissiale un espace libre exagéré entre les premiers bancs de la nef et la balustre et que c'était agir en administrateurs attentifs aux intérêts de l'église et des paroissiens que de l'utiliser. Après de longues délibérations, ils firent en conséquence construire cinq bancs neufs en tous points pareils à tous les autres bancs déjà dans la nef et en firent partiellement combler l'espace béant devant la balustre. Un des nouveaux bancs fut ainsi ajouté, en tête, à la rangée de droite en entrant, du côté de l'épître, et ce banc se trouvait ainsi placé devant le banc seigneurial, lequel avait été dopais 1789 le banc numéro 1 de la rangée du côté de l'épître, et, sans avoir été déplacé, devenait ainsi le banc numéro 2.

Ce banc était devenu en 1789 banc seigneurial dans d'assez curieuses circonstances. Le seigneur du lieu était Malcohn Fraser, qui n'habitait pas la paroisse et qui était par ailleurs protestant. De n'être pas catholique, cela, de par la loi et l'usage du temps, ne le privait nullement de son droit à un banc dans l'église, et ce banc devait être à la place d'honneur. De sorte que, en 1789, le seigneur Fraser avait réclamé son banc, dans le dessein d'en faire jouir Louis Poulin son meunier (voir Note 1 - Histoire du Moulin de St-Famille). Et comme le seigneur Fraser invoquait un droit incontestable, la Fabrique s'était immédiatement conformée à son désir, et pour cela elle avait dépossédé du banc numéro 1 du côté de l'épître un nommé Perrault qui en avait quelque temps auparavant obtenu la concession. Pour déposséder Perrault le marguiller en charge, Pierre Dorval, dut lui rembourser le prix de l'adjudication, soit 50 livres. Et comme ce Perrault était un homme avisé, il feignit de se faire tirer l'oreille pour abandonner le meilleur banc de toute l'église, de sorte qu'il réussit à s'entendre avec le meunier du seigneur pour y conserver une place, ce qui lui suffisait, car il était célibataire.

Peu après l'installation des cinq bancs neufs, ils furent un dimanche tous vendus à la criée à la porte de l'église, et Louis Poulin fit l'acquisition pour son fils, suivant l'usage, du banc numéro 1 du côté de l'épître. Ou tout au moins, les marguillers eurent l'idée de lui vendre le nouveau banc installé devant la balustre, mais il ne leur vint pas à ce moment à l'esprit que ce banc, comme prenant position qu'on lui avait donnée la place d'honneur, pouvait devenir automatiquement le banc seigneurial. Cette question ne se posa pas en ce moment, et elle ne fut naturellement pas posée par le seigneur Fraser, puisqu'il ne se montra jamais dans l'église. Louis Poulin d'ailleurs occupait avec sa famille le nouveau banc numéro 1 ainsi que le banc numéro 2, parce qu'il avait droit à l'un comme appartenant au seigneur et à l'autre parce qu'il en était adjudicataire. La distinction ne s'imposait pas, et elle s'imposa encore moins à compter du 12 février 1806, puisqu'à cette date Louis Poulin acquit de Malcolm Fraser ses droits et titre à la seigneurie de la paroisse de la Sainte-Famille. Mais en n'élucidant pas cette situation confuse lorsqu'il eut été facile de la démêler, le Curé qui était en 1803 l'abbé Jean-Baptiste Gatien, et les Marguillers de l'Oeuvre et Fabrique préparaient pour leurs successeurs, à un demi-siècle de distance, un long et coûteux procès. Les années toutefois passèrent sans que rien ne fit présager ces graves chicanes.

Le seigneur Louis Poulin mourut, et son fils, aussi nommé Louis Poulin, hérita du titre de seigneur et à son tour reçut dans l'église paroissiale les honneurs dus à sa qualité. Lorsqu'il mourut à son tour, le titre passa à son fils aîné Alexandre Poulin, à qui revinrent les traditionnels honneurs. Ces honneurs étaient l'eau bénite par aspersion, et non par présentation du goupillon, tel que cela se pratiquait en France, le pain bénit avant les autres, et la réception de son offrande à la quête pendant la messe. Alexandre Poulin, seigneur, occupait le banc numéro 1, mais sa mère, l'épouse de l'ancien seigneur, occupait le banc numéro 2, où prenait également place son autre fils, Moïse Poulin. De sorte que les deux bancs étaient encore en la possession de la famille seigneuriale, cela peut expliquer pourquoi il ne semblait pas encore nettement défini quel banc était le banc du seigneur.

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La nécessité de résoudre cette énigme se présenta en 1848 à la mort de Marie-Anne Létourneau, veuve de l'ancien seigneur et mère d'Alexandre et de Moïse Poulin (Moïse est le dernier et 11e fils de Louis, né en 1817). Un des deux bancs devenait alors disponible, et la fabrique vendit selon la pratique établie aux enchères le banc numéro 2, qui fut adjugé à Jean-Baptiste Létourneau au prix de 119 livres et 20 sols. Aussitôt après la vente, Moïse Poulin annonça qu'il allait retraire le banc, en invoquant la préférence que la loi et l'usage reconnaissaient aux enfants à la mort des adjudicataires. Létourneau s'attendait à cette action de Moïse Poulin, car il avoua avoir monté les enchères plus qu'il ne l'aurait fait s'il n'avait pas su d'avance que le banc ne serait pas laissé en sa possession. Moïse Poulin passa en effet à la sacristie et annonça son intention de retraire le banc rendu libre par suite de la mort de sa mère, et une entrée à cet effet fut faite dans le registre de la Fabrique. Seulement le titre définitif ne fut point immédiatement procuré au retrayant parce que l'on voulait préalablement s'assurer si le seigneur avait ou non droit à ce banc.

En attendant, Moïse Poulin prit possession du banc et, peut-être parce qu'il était satisfait d'en avoir la jouissance, il ne pressa pas la Fabrique de lui faire tenir un titre régulier. Et alors le terrain se trouva préparé à point pour y faire pousser des procès.

Les marguillers délibérèrent, et il n'apparaît pas que leurs délibérations les aient conduis à voir bien clairement leur situation. Ils s'accordèrent cependant sur un point, et c'est que Moïse Poulin n'avait aucun retrait à exercer sur le banc numéro 2 parce que c'est le banc numéro 1 qui, jugeaient-ils en toute certitude, avait été concédé à son aieul. Ce raisonnement toutefois était peu concluant, en ce sens que si le numéro 1 était le banc de concession, la Fabrique l'avait tout de même reconnu comme banc seigneurial en mettant le numéro 2 en vente. Et il était impossible de discerner parfaitement quand le banc numéro 2 avait perdu sa qualité de banc seigneurial, si tant est qu'il l'eût perdue. Sur le point dont les marguillers se déclaraient sûrs que Moïse Poulin ne pouvait réclamer de droit de préférence, Jean-Baptiste Létourneau, en sa qualité d'adjudicataire, réclama devant les tribunaux la possession du banc. La Cause fut inscrite en Cour Supérieure de Québec par le juge Duval, qui jugea que la possession dont jouissait Moïse Poulin était un titre suffisant, tandis que le défaut de tradition à Létourneau était un vice que l'acte de concession ne pouvait couvrir. En conséquence le juge Duval autorisait Moïse Poulin à garder la possession du banc numéro 2.

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Ce jugement fut prononcé le 4 octobre 1852. Alors la fabrique de Sainte-Famille poursuivit à son tour Moïse Poulin. Elle présentait dans son action deux demandes : 1e - Que le défendeur ait à abandonner et livrer aux demandeurs sous huit Jours de la signification du jugement à intervenir la possession du banc numéro 2, sinon qu'il soit permis aux demandeurs d'en expulser le défendeur par les voies légales, et 2e - Que défenses soient faites au défendeur, sous les peines de droit, de troubler à l'avenir les demandeurs dans la possession et jouissance du dit banc pour être mis en réquisition ainsi qu'il conviendra dans l'intérêt et avantage de l'église de la paroisse de la Sainte-Famille, et que le défendeur soit condamné à payer $100 pour son injuste détention du banc et les dépens.

Moïse Poulin invoqua pour sa défense : Que le banc avait été vendu quarante-neuf ans auparavant à son père Louis Poulin pour une somme de $8 environ et une rente annuelle de quatre livres et 20 sols; qu'en conformité de la dite vente faite suivant l'usage dans la paroisse, Louis Poulin jusqu'en à son décès et sa veuve ensuite, avaient constamment occupé le banc en payant à la Fabrique la rente stipulée et qu'en 1848, date du décès de la femme Poulin, le banc avait été vendu et adjugé à Jean-Baptiste Létourneau pour 119 livres et 20 sols, sur lequel le défendeur avait exercé le droit de retrait avec l'approbation du marguiller en charge et au vu et su de l'adjudicataire et qu'il en fut fait une entrée dans le registre tenu à cette fin; qu'enfin une action ayant été intentée par J.B. Létourneau au sujet de son droit au dit banc contre Moïse Poulin, cette action avait été renvoyée par la Cour Supérieure de Québec.

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La Cour Supérieure de Québec, présidée par le juge Jean-Thomas Taschereau, et le juge John B. Parkin, rendit son jugement sur cette dernière instance le 5 mars 1856 et donna gain de cause au curé, qui était alors l'abbé Denis Marcoux et aux marguillers de l'Oeuvre et Fabrique de Sainte-Famille. Cette fois, le tribunal déclarait que le banc qui avait été vendu à Louis Poulin était le banc numéro 1 et que par suite Louis Poulin n'avait pu transmettre à son fils aucun autre droit sur le banc numéro 2. Les marguillers se réjouirent de cette décision, mais Moïse Poulin interjeta appel. La cause fut plaidée en Cour d'Appel devant Sir L. H. Lafontaine Juge en chef, et les juges E. Aylwin, Duval et Caron. La justice fut pour une fois expéditive, car le jugement fut prononcé dès le 7 juillet 1856, quatre mois seulement après l'arrêt du tribunal de première instance.

Et la Cour d'Appel donna gain de cause à Moïse Poulin. Ce tribunal rétablissait — contre l'avis des marguillers, toute cette question de banc dans un ordre parfait. Selon la décision de cette haute cour de justice, le banc numéro 1 de la rangée de l' épître, qui était l'objet du litige, était devenu le banc numéro 2 en 1803, et cessant d'occuper la place la plus honorable, avait du même coup cessé d'être le banc seigneurial ; que de fait le seigneur avait dès ce moment occupé le banc neuf premier de la rangée et faisant immédiatement face à la balustre et « que la Fabrique avait par divers actes reconnu et admis que ce banc » était celui qu'avait droit d'occuper et qu'occupait de fait le seigneur de la paroisse. Le tribunal ordonnait en conséquence que dans le délain de quinze jours, la Fabrique fut tenue de consentir à Moïse Poulin en la manière et forme accoutumées et d'usage en la dite paroisse, bon et valable titre du dit banc numéro 2, selon la sentence du tribunal vaudra le titre.

Et la Fabrique était condamnée à payer les frais tant du procès qu'elle avait gagné en Cour Supérieure et de celui qu'elle perdait en Appel. L'affaire ainsi prit fin sauf que parut en 1858 à Québec un assez volumineux pamphlet dans lequel fut présenté un examen critique des questions de droit et de fait soulevées dans la cause et offertes ostensiblement pour la consolation du conseil de Fabrique, une démonstration que le jugement de la Cour d'Appel était erroné. Mais cette publication ne troubla pas Moïse Poulin qui n'en continua pas moins de se prélasser dans sa jouissance du banc numéro 2 de la rangée à droite en entrant du côté de l'épître. (D'après un article de " La Patrie ". Troisième Centenaire de la Famille Poulin au Canada, 1939).

Dans le fond, la chicane était pour très peu de chose et tout aurait pu s’arranger si on avait suivi les avis du curé de la paroisse. Le procès ne s’en rendit pas moins jusqu’à la Cour d’Appel et celle-ci donna raison à Moïse Poulin contre la Fa­brique. La note à payer fut assez élevée et les bons fabriciens de la Sainte-Famille conservèrent un souvenir assez cuisant de leur banc seigneurial.


Note 1 : *A la découverte du Moulin seigneuriale Poulin à l'Ile d'Orléans et des meuniers et Seigneurs Poulin


En complément : La Concession d'un banc d'église à Georges Garneau en 1899, église de St-Joseph de Beauce.



- richard poulin 2020

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