Les canadiens français et les "sauvages"

Le point de vue de Benjamin Sulte sur la situation, paru dans le Bulletin des Recherches Historiques, V.4 No. 12. 1898.
Qui de nous n'a entendu dire : " Les Canadiens-français ont du sang sauvage dans les veines." ? Cette assertion se base, parait-il, sur les données suivantes:

  1. le petit nombre de femmes blanches au commencement de la colonie;
  2. nos rapports fréquents avec les tribus indigènes;
  3. la couleur des cheveux, de la peau et des yeux chez certaines familles canadiennes.

Durant la période de 1608 à 1003. où le nombre des femmes françaises était un peu moindre que celui des hommes, chacun des membres de nos familles a laissé des traces nettement indiquées de sa carrière. Toutes les alliances de ce temps nous sont connues. Pas une personne en quelque sorte n'échappe au contrôle de l'histoire. De plus, nous savons quels soins prenaient les gouvernants pour empêcher les mariages mixtes, à cause de la facilité avec laquelle les Français se faisaient sauvages une fois habitués avec leurs frères de la forêt (Les Sauvages appelaient les Français leurs frères, et les Français disaient mon parent}. Pendant l'intervalle en question, il y a eu sept mariages de Français avec des Huronnes et des Algonquines, par permissions spéciales. Cinq de ces mariages ont laissé des enfants. La population blanche de la colonie était de 2,500 âmes, en 1663. Les arrivages si nombreux de colons, hommes et femmes, de 1663 à 1673, établirent une juste proportion entre les deux sexes. On constate cinq mariages mixtes dans le cours de ces dix années, et quatre autres de 1674 à 1700. Mettons- en trois l'ois plus, si vous le voulez, ce no sera encore presque rien.

Voilà tout ce que de patientes recherches ont pu nous apprendre. Disons, en exagérant les chiffres, qu'en l'année 1700» nous avions trente mariages de ce genre, au milieu d'une population de seize mille âmes. Ce n'est pas la peine de discuter. Le plus ancien de ces mariages est de 1644, époque de la grande concentration des Algonquins autour de Montréal, 'rois- Rivières et Québec, à cause des ravages exercés par les Iroquois dans les territoires de l'Ottawa. La race algonquine, déjà en décadence, fut presque anéantie trois ou quatre années après. Tout aussitôt les Hurons, chassas du Haut-Canada, arrivant par petites bandes, se réfugièrent .sous les mure de Québec. Ces tristes débris de deux nations autrefois puissantes tonnèrent des bourgades sous la direction du clergé qui, on peut l'affirmer, car les preuves abondent, n'encourageait nullement le métissage. Les autorités civiles étaient de leur côté opposées à des unions de ce genre, à cause du penchant que manifestaient les Français pour la vie sauvage. Vers 1080, nous voyons les Abénakis et les Sokokis, autres réfugiés, venant de l'Est, se grouper à Sillery, Bécancour et Saint-François du Lac. Le poste iroquois du saut Saint-Louis et celui (plus mélangé) du lac des Deux-Montagnes, datent aussi de ce moment.

L'administration de ces bourgades était faite avec une telle sollicitude que le moindre individu se trouvait surveillé, comme dans les réductions des Jésuites de l'Amérique du Sud. C'est dans notre siècle seulement que cette discipline s'est relâchée ; aussi pouvons- nous dire que les blancs mariés avec nos sauvagesses sont devenus assez nombreux dans ces petits établissements. Mais, encore une fois, cela n'affecte point les cinq ou six générations qui les ont précédés.

A partir de 1650 il n'y eut plus de Sauvages errants dans !e Bas-Canada, sauf les Tètes-de-Boule du Haut Saint-Maurice et les Montagnais du Saguenay, réduits à l'insignifiance comme nombre et comme valeur intellectuelle. Ce qui survivait, en 1700, de peuples réfugiés sous nos murs habitait des villages bien organisés, ceux qui sont nommés un peu plus haut. Souvenons-nous toujours que la ruine des indigènes était complète en 1660 dans le Haut et le Bas-Canada; les familles dispersées erraient à l'aventure dans l'ouest ou dans le nord; celles qui s'étaient rapprochées de nos habitations y vivaient comme il vient d'être dit.

C'est après la destruction des Sauvages alliés des Français que la colonie agricole du Bas-Canada prit son essor. Française elle était, française elle resta, car il n'y avait pas assez de femmes sauvages pour épouser la huitième partie de nos garçons, on supposant que la chose fût permise — ce qui n'est pas soutenable, puisqu'elle était défendue et qu'aucun document ne révèle, en ce sens, plus que nous on avons montré ci-dessus.

Par conséquent, nous sommée large en accordant trente mariages mixtes au dix-septième siècle. Il ne nous est pas permis d'en accepter qu'un moindre nombre pour le dix-huitième, vu que les Sauvages diminuaient rapidement et que nous augmentions dans des proportions étonnante. Mais, dira-t-on, à part ces alliances reconnues par l'Église et l'État, il devait y en avoir à la mode des Sauvages. Nous le croyons, c'est probable, c'est même à peu près certain pour le Bas-Canada, et très certain dans les territoire du Nord-Ouest.

Les enfants issus de ces rencontres ne pouvaient pas être Canadiens-Français ; ils ont dû suivre leurs mères dans les bois, car autrement nous les retrouverions chez nous, vu que les registres disent tout ce qui s'est passé à l'égard des mariages. Ce furent les sources des métis, dont les descendants sont aujourd'hui des Sauvages. Au lieu d'avoir sous ce rapport emprunté au sang indigène, nous y avons plutôt mêlé le nôtre en pure perte. Avons-nous bien déterminé les lignes de démarcation qui nous séparent des indigènes ? Historiquement parlant, peut- on nous contredire là-dessus ? Nous attendrons une réponse avec curiosité. Des faits, pas de suppositions.

Reste à parler de la couleur de la peau, des cheveux et des yeux. Ici il n'y a plus besoin de l'histoire. La science d'observation suffit à résoudre ce problème dans tous les pays du monde.

Si nous possédions des renseignements détaillés sur la couleur de chacun des Français originairement établis au Canada, nous serions en mesure de les comparer, au point de vue de l'aspect physique, avec leurs descendants; mais cette ressource taisant défaut envisageons les choses à la manière des savants. Depuis notre premier père, des transformations surprenantes ont eu lieu dans la taille et la couleur des hommes. C'est toujours et partout sous l'influence des milieux que ces phénomènes se produisent. Depuis près de trois siècles, sous un climat bien différent de celui de la France, usant d'une nourriture abondante et saine, occupés à des travaux qui exercent immensément les facultés physiques, nous avons acquis une force dont les physiologistes reconnaissent toute la valeur. Notre expansion le prouve suffisamment n'est-ce pas ?

Dans ces conditions, la peau, les yeux, les cheveux peuvent bien avoir subi quelques changements de couleur. Il suffit des eaux que l'on boit, des émanations du sol, de la valeur chimique des légumes. Expliquez donc pourquoi cette fille est blonde, tandis que sa sœur est brune, et leurs frères châtains, cuivrés ou très blancs! Au Canada comme en Europe, on remarque de semblables différences. Là-bas comme ici, les hommes et les femmes sont robustes dans certaines localités, et pourtant elles sont souvent voisines d'un village ou d'une commune où règnent la débilité et la faiblesse du corps. Affaires d'influences locales. Les animaux sont soumis aux mêmes conditions. Nous ne nous attacherons donc pas à expliquer au long cette théorie, car elle est reçue de nos jours par la masse des lecteurs éclairés.

Avons-nous des chevelures noires, des yeux noirs, des peaux foncées en abondance et à l'excès ? Non, assurément non, pas plus que les autres peuples. On peut même affirmer que les individus dont les traits de la figure ou la coloration de la peau rappellent le type sauvage sont rares parmi nous. Dans bien des cas, en remontant à deux ou trois générations, on constate que la couleur n'est pas aussi sombre; probablement, les petits-fils de ceux d'à présent retournèrent à la teinte primitivement pâle. Et l'on arrive ainsi à se demander si nous avons réellement des yeux noirs, des peaux bistrées, des coiffures ailes de corbeaux en plus grandes quantités qu'autrefois, proportion gardée avec le chiffre de la population. Celui qui pourra répondre et éclaircir ce doute aura trouvé une parfaite nouveauté. Et encore, la question ne sera pas résolue, puisqu'il faudra prouver l'ascendance sauvage, et ceci n'est pas du tout possible.

Article connexe: Les canadiens français et les "sauvages" - le point de vue en 2019.

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