L'INVENTION DE JETHRO E. POULIN

J'ai croisé le nom de Jethro Eli Poulin pour la première fois dans le livre rédigé à l'occasion du Troisième Centenaire de la Famille Poulin au Canada 1. Avec celles des membres du Comité Général de l'organisation, sa photo apparait au chapitre des Auxiliaires de l'évènement avec la mention INVENTEUR suivi du courte biographie ¹.

Agrandir l'image. Jethro E. Poulin, Portland, Maine, créateur d'un avion qu'il a breveté et pour lequel le Gouvernement américain offre une somme très alléchante. Cet avion fonctionne sans l'aide de gazoline ni d'huile et n'a même pas d'hélice. L'appareil est appelé à révolutionner l'aviation militaire d'ici peu et fait actuellement le sujet de commentaires exceptionnels dans toute la presse.

C'est donc Jethro l'inventeur du turboréacteur ? Après vérification j'ai vite compris que non. En 1939 ce type de moteur était déjà à peu près mature et installé de série vers la fin de la Première guerre mondiale. Mais qui est donc ce Poulin inventeur d'un moteur sans carburant et sans hélice ? Ma curiosité était piqué.

Au début des années 2000 les chercheurs du Johnson Space Center de la NASA à Houston faisait l'annonce d'un système de propulsion par micro-ondes ne nécessitant aucun carburant, l'emDrive, qui génère de la poussée grâce à des micro-ondes provenant du soleil. Nous somme en pleine physique quantique et Jethro, simple mécanicien dans les années 30 (je le présume), ne volait certainement pas dans cette orbite, déjà que l'emDrive déjoue plusieurs lois de la physique. Alors quoi ?

MOUVANCE

Jethro E. Poulin est né le 8 avril 1906, un dimanche, à Waterville, Maine, USA. Son père est Joseph Edward Poulin, on le connait aussi parfois sous le nom anglicisé de Joseph Pooler, ce qui est fréquent en Nouvelle-Angleterre et sa mère Marie Tardif. Joseph a déjà été conseillé de Waterville, maire suppléant et il y possède un magasin de meuble. Leurs grands-parents sont d'origine québécoise (St_joseph, Beauceville) ayant immigrés aux États-Unis au début des années 1800. Joseph et Marie décèdent alors que Jethro est âgé que de 3 ans, ils en ont 38 chacun. La cause du décès des parents à 6 mois d'intervalle n'est pas connue. Il a une soeur et deux frères plus vieux qui se retrouvent aussi orphelins, on ne sait pas ce qui leur advient à ce moment. Quant à Jethro il aurait été placé dans un orphelinat ou chez des parents au Québec, il ne semble jamais l'avoir mentionné. De 1906 à 1922 Jethro était donc au Québec mais on ne sait pas où exactement, ni quelle scolarité il a eu. Au poste frontalier de Jackman (Maine) un document atteste que J. Eli Poulin, citoyen américain de naissance, né à Waterville, est admis aux États-Unis avec le droit d'y travailler. C'est un parent ou un tuteur de St-Côme en Beauce qui aurait facilité son retour aux Maine (USA) le 22 septembre 1922 comme l'atteste le registre du passage à la frontière signé par le Père Pierre (Father Pierre). Jethro est alors âgé de 16 ans.

A partir de 1922, on revoit Jethro à Hatford, Connecticut, en 1926 où il est inscrit dans l'annuaire local. On ne sait pas depuis quand il y est mais il aurait travaillé pour Pratt & Whitney pendant quelques années. Cette importante usine emploi aujourd'hui plus de 35000 ouvriers et fabrique des moteurs et turboréacteurs pour avions; ce que Jethro y faisait est inconnu. On ne connait pas la formation de Jethro lorsqu'il arrive au Canada mais si c'est dans un domaine quelconque de la mécanique c'est possiblement cet employeur qui l'a attiré à Hartford. Il y demeure deux ans. Il va y retourner en 1930 après un an à Portland et il y reste jusqu'en 1931-32. C'est dans cette ville de Hartford qu'il se mari avec Jeannette Gauvreau, à l'église catholique de St-Anne Immaculate-Conception, qui accouche de leur premier fils en 1927. Le couple déménage à Portland et y restent jusqu'en 1934-35. Puis on les voit à New Portland et de nouveau à Portland jusqu'en 1940. - Il est difficile à suivre ce Jethro, le couple déménage souvent en des lieux différents de la même ville année après année il va de Hartford à Portland à New Portland qui est un petit village en montagnes dans la région du mont Sugarloaf. Lorsque Jethro dira plus tard qu'il s'est exilé dans les bois pour perfectionner son 'invention' c'est probablement de New Portland qu'il parle.

En 1940, Jethro et sa famille sont recensés à New Portland. La famille a grandit aux travers toute cette mouvance : Maurice son fils le plus vieux est âgé de 12 ans, Roger 6 ans et Richard le dernier né est âgé de 6 mois. Jeannette son épouse a 28 ans et lui 34 ans. Puis il y a Lilian Petrie 23 ans, qui est inscrite comme logeuse dans le même appartement. Au décès de Jeannette plus tard, c'est cette Lilian qui deviendra sa seconde épouse. Elle sera plus tard propriétaire d'un magasin de Céramique et Souvenirs à New Portland.

L'AVION DE JETHRO

C'est à la fin de l'année 1938 qu'on entend parler pour la première fois de l'avion de Jethro. Au journaliste du The Sentinel de Waterville (Maine), il dit être en possession de plans pour une usine de cent mille dollars à Waterville qui donnerait de l'emploi à plus de 500 personnes et en faire la plus importante compagnie de construction d'avions au pays. Il est l'auteur d'une invention qui selon lui va révolutionner l'industrie aéronautique. L'avion qu'il propose est dépourvu de moteur, ne consomme pas de carburant, peut se déplacer à des vitesses si élevées qu'il sera impossible à détecter pour un ennemi tout en étant complètement silencieux. Avec son épouse il créé le 4 octobre la Corporation Aéronautique de Waterville, il en est le président et Mme Poulin la trésorière. Des actions ordinaires de la société sont vendues afin de financer le projet qu'il espère faire breveter dans prochainement et compte lancer par la suite une nouvelle campagne d'actions ordinaires pour financer l'usine. John P. Thomas, un architecte de Portland, aurait dessiné les plans de l'usine qui occupera 7 acres, mesure 160 pieds par 80 pieds avec une piste et des hangars. Son invention il la mijote depuis environ trois ans, mais ce n'est que récemment qu'une maquette en acier a pu être construite pour la tester. Le journaliste rappelle que Jethro a déjà travaillé pour la société Pratt & Whitney Aircraft de Hartford, Conn. - peut-être pour essayer de se convaincre lui-même de la véracité des propos de Jethro. [Références : voir la page personnelle de Jethro Eli Poulin pour le détail - et l'Article du journal Sentinel, le 15 décembre 1938].

Entre temps Jethro aura entendu parler des fêtes du Troisième Centenaire des Poulin qui se prépare au Québec et propose son nom au Comité Général de l'organisation. Considérant la notoriété dont il dit avoir au Maine on le nomme membre auxiliaire. Sa photo et le cours texte à titre d'Inventeur qui l'accompagne figurent au livre qui sera publié en 1939, il sera de la rencontre et du banquet à Sainte-Anne de Beaupré [Référence : Membre auxiliaire du Comité du Tricentenaire de la Famille Poulin ].

L'ÉLECTRODE

Jethro va enfin dévoiler son invention dans le Sunday Press Herald de Portland le 3 septembre 1939. Dans cet article signé par Gene Letourneau, il donne des détails et ouvre son atelier de Portland au journaliste pour qui tout cela apparait un peu trop fantastique - Dans les conditions d'avant guerre actuelle si l'invention était bien vraie elle transformerait l'industrie aéronautique de fond en comble.

C'est dans un coin isolé du Maine, à New Portland, qu'il met la touche finale à son invention, il y possède 100 acres de terrain sur lequel se trouve une clairière propice à la mise à l'essaie de son avion sans moteur. Il préfère les bois à Portland où il se dit suivi et espionné dans tous ses mouvements.

alternative description

Le principe physique derrière cette invention se réduit à une électrode contenue dans un compartiment ne dépassant pas 15 cm de côté et capable faire voler un avion. Somme toute un secret bien gardé par Mr Poulin : « je suis la seule personne à le connaître».

Certains aspects de son invention ont déjà été brevetés affirme t-il. Mon avion sera capable de transporter six à huit passagers et volera aussi longtemps que le pilote le souhaitera déclassant tout autre avion aujourd'hui sur le marché. Jethro est prêt à mettre à l'épreuve son avion d'ici trois semaines en présence du journaliste. Son laboratoire à Portland, précise-t-il, est la preuve du bon fonctionnement de son invention qui est de diviser les atomes de l'air pour capter l'énergie électrique qui s'en dégage - «tout mon bâtiment à Portland est alimenté en électricité par mon 'électrode ». Il a ainsi accès à 1200 watts, suffisant pour alimenter lumières, réfrigérateur et les autres appareils électriques de l'endroit.

ENFIN PRÊT

"Je suis prêt à frapper le grand coup", a-t-il déclaré samedi, et il est persuadé que ses quatre années de travail ne seront pas vaines. Il a déjà sollicité la vente d'actions ordinaires à Waterville et a reçu un soutien considérable de la ville de Lewiston (Maine).

Il envisage la construction d'une usine (possiblement à Lewiston) pour développer à la fois l'avion et une automobile sans moteur. Il déclare, en montrant les plans des bâtiments, qu'il faudrait 150 acres de terrain pour bâtir une usine capable d'accueillir entre cinq et six mille personnes [NDLR: probablement une erreur de frappe, on voulait plutôt dire 500-600]. Jethro déclare que les autorités municipales de Lewiston ont offert leur aide pour trouver un emplacement et consentent à une exemption de taxes. L'avion sans moteur est maintenant terminé, l'armature est en alliage d'aluminium. Un modèle a été testé, dit-il, et il a volé sur le parcours où les essais de l'avion réel doit être effectués. Pour preuve il ouvre pour la première fois son laboratoire de Portland où on le voit à l'oeuvre, le journaliste y prend deux photos.

Agrandir l'image. Jethro dans son laboratoire à Portland

Agrandir l'image. Jethro dans son laboratoire à Portland

Sur la première image on voit Jethro à son établi travaillant sur une commande automatique de l'électrode qui, dit-il, n'est pas encore tout à fait au point parce qu'elle ne peut résister aux perturbations électriques dans l'air, comme par exemple la foudre.

Sur la deuxième c'est l'élément de base de l'avion sans moteur de Jethro en cours d'assemblage, dans ce cadre fait d'un alliage d'aluminium, Jethro installera l'électrode qui alimentera indéfiniment l'avion.

[Références : voir la page personnelle de Jethro Eli Poulin pour le détail - et l'Article du journal Sunday Press Herald, 3 Septembre 1939].

TROP BEAU POUR ÊTRE VRAI

Il y a bien eu quelques autres articles de journaux durant cette cette période de 1938 à 1939 mais nous avons ici l'essentiel. Jethro n'aura jamais, à ce que je sache, montré quelque électrode ou avion ou automobile que se soit. Aucune industrie n'aura été créée. Après 1939 aucune nouvelle de Jethro! En 1940 on le retrouve à New Portland où nait son fils x x (Hopital de Farmington). En 1941 on le voit inscrit à l'annuaire de Portland avec son épouse Jeannette Gauvreau. En 1969 ils sont à Waterville où Jeannette décède. En 1970 il se marie avec l'ancienne logeuse des années à Portland Lillian Petrie qui va à son tour décéder en 1981. Jethro meurt à New Portland en 1987 (probablement d'un cancer des poumons).

C'est un vieux rêve que de pouvoir utiliser une roue, un aimant, un champ magnétique comme à l'origine d'un mouvement perpétuel, en faire un moteur, mais induire un mouvement en divisant des atomes avec l'aide d'une électrode comme a voulu le faire Jethro est quelques chose d'assez originale - Faut lui accorder le mérite, il n'a pas choisi l'invention la plus facile "Fallait y penser"! L'idée vient qu'on se représentait l'atome avec des électrons tournant tout autour du noyau comme un modèle planétaire; ceci est impossible car il se dégagerait ainsi de l'énergie à l'image d'une antenne radio (Équations de Maxwell) : c'était sans doute l'intention de Jethro. La mécanique quantique montre plutôt que les électrons forment un « nuage électronique » autour du noyau, qui ne génère aucun rayonnement. La page 'Allo Prof' vulgarise l'histoire de l'atome et apporte de la lumière sur le sujet. Il est aujourd'hui possible de diviser des atomes, ce qu'on appelle de la fission nucléaire.

On peut se demander ce qu'à motiver Jethro à pousser une telle 'patente' et à la rendre publique, y croyait-il vraiment ? Je crois que oui. Comme plusieurs à cette époque et d'autres avant lui et encore aujourd'hui il croyait à un mouvement perpétuel possible. Il avait des habilités en mécanique mais ne connaissant vraisemblablement rien à l'atome. Alors Jethro Poulin, menteur ou mythomane? Contrairement au menteur qui trompe son interlocuteur consciemment, Jethro était peut-être atteint de mythomanie, il croyait à ses propres mensonges, convaincu de la réalité qu'il créait, car autrement son monde se serait effondré.

De Jethro, on peut dire qu'il était un électron libre.

NOTES :

Genepoulin/rpoulin/2023

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